Le vendredi 28 mars, une décision présidentielle a secoué la scène politique et sociale de la Guinée : le chef de l’État, le général Mamadi Doumbouya, a accordé une grâce présidentielle à l’ex-président de la transition, le capitaine Moussa Dadis Camara. Condamné à 20 ans de prison pour son rôle dans le massacre du 28 septembre 2009, ce dernier n’a purgé que moins de trois ans de sa peine. Une décision qui a été perçue différemment selon les acteurs politiques et sociaux, chacun y apportant sa propre analyse.
La grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara a rapidement déclenché des réactions variées. Du côté des avocats des victimes du massacre du 28 septembre 2009, la décision a été vivement critiquée. Me Amadou Alpha DS Bah, coordinateur des avocats de la partie civile, a exprimé son mécontentement en soulignant que ce geste crée de l’impunité et vide le procès en appel de sa substance. « Avec la grâce du principal condamné, le procès en appel perd tout son sens. Quelqu’un qui est condamné pour crime contre l’humanité et qui est gracié, c’est extrêmement grave pour notre justice », a-t-il martelé.
Pour l’avocat, cette décision met en lumière la fragilité du système judiciaire guinéen et la tendance à minimiser les atrocités passées. « Ce n’est qu’une question de temps avant que les autres ne soient également graciés », a-t-il ajouté, soulignant l’inquiétude qui plane désormais sur l’avenir du procès et des victimes.
Si la communauté des victimes et les défenseurs des droits humains réagissent avec colère, le geste du président Doumbouya suscite également l’adhésion de certains acteurs politiques, notamment dans la région forestière.
Julien Kamano, président des coordinations forestières présidentielles à Kankan, a salué cette décision qu’il considère comme « salutaire » pour la Guinée. Selon lui, cette grâce est un signe de réconciliation nationale. « C’est un geste fort de la part du général-président qui favorise la paix et la réconciliation au sein du pays », a-t-il déclaré.
D’autres voix, comme celle de Dr Ibrahima Sacko, président de l’Union des Forces pour le Retour à l’Ordre Constitutionnel (UFROC), ont exprimé leur mécontentement. Selon lui, la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara démontre le mépris des autorités actuelles pour la justice et les droits humains. « Cette libération est une preuve manifeste du mépris du pouvoir envers la justice. Elle montre que la priorité du régime n’est pas la réconciliation, mais la consolidation du pouvoir », a-t-il déclaré sur sa page Facebook, dénonçant une démarche qui ne fait qu’alimenter l’injustice et la répression dans le pays.
Dr Edouard Zotomou Kpoghomou, président de l’Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP), a quant à lui salué la décision sur le plan humain, tout en émettant des doutes sur ses implications politiques. « Je pense que, sur le plan humain, c’est une bonne décision. Cependant, politiquement, cet acte semble davantage lié à un calcul visant à renforcer la popularité du Général Doumbouya en Forêt, où Moussa Dadis Camara est une figure influente », a-t-il expliqué. Il estime que cette décision pourrait être un moyen d’obtenir le soutien de cette région à l’approche des élections présidentielles.
Pour Oyé Béavogui, secrétaire général par intérim du PDG-RDA, la grâce de Dadis Camara est un acte de « haute grandeur » et un signe de réconciliation nationale. « C’est un geste important de la part du président Doumbouya pour favoriser l’unité nationale », a-t-il affirmé. Il considère également que cette décision démontre la volonté du chef de l’État de rétablir l’unité et de tourner la page des divisions politiques passées.
La grâce accordée à Moussa Dadis Camara est sans conteste un acte historique aux multiples implications. Si pour certains, il s’agit d’un pas vers la réconciliation nationale, pour d’autres, c’est un geste qui affaiblit la justice et perpétue l’impunité. Le débat autour de cette décision ne fait que commencer et pourrait marquer durablement l’actualité politique guinéenne dans les semaines à venir. L’avenir dira si cette grâce favorisera réellement la paix et l’unité, ou si elle alimentera davantage les tensions politiques dans le pays.
M. Yacine DIALLO
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