La parole du chef de la junte Assimi Goïta est rare. Mais son visage est partout à l’heure du référendum constitutionnel prévu dimanche au Mali, jusque sur les exemplaires du texte distribués aux votants.
Le colonel Goïta passe avec ce référendum son premier test électoral depuis qu’il a été porté par un putsch en août 2020 à la tête de ce pays confronté au jihadisme et plongé dans une profonde crise multiforme.
Il s’est depuis fait investir président pendant une période dite de transition censée s’achever début 2024 avec des élections qui ramèneraient les civils au pouvoir.
Officiellement, la Constitution qui doit remplacer celle de 1992 ne concerne ni Assimi Goïta ni les autres colonels qui occupent les postes clés.
Une « charte de la transition » publiée en octobre 2020 au Journal officiel et faisant constamment référence dispose que le président de la transition et les membres du gouvernement « ne sont pas éligibles aux élections présidentielle et législatives qui seront organisées pour marquer la fin de la transition ».
Le doute est répandu quant au respect de cet engagement pris alors que les militaires subissaient une lourde pression internationale. Le projet soumis à référendum consolide fortement la stature présidentielle.
« Ceux qui contestent ces dispositions pensent que le président Goïta sera candidat aux élections », dit le sociologue Brema Ely Dicko, « dans l’hypothèse où il ne se présente pas, ce sont d’autres hommes politiques qui vont en profiter ».
Un homme politique s’exprimant sous le couvert de l’anonymat dans un contexte de contraction de l’expression corrobore: « Le calcul de certains stratégistes (des militaires) est qu’une nouvelle Constitution permettrait de remettre les compteurs à zéro. Cela va donner lieu sans aucun doute à une bataille juridique ».
Ce premier scrutin sous la junte pourrait donner une indication du soutien des Maliens au chef de l’Etat, à nuancer à cause de leur faible participation traditionnelle et de l’absence probable de vote dans différentes parties du pays, pour des raisons sécuritaires ou politiques.
Le colonel Goïta passe pour populaire. Le régime et ses soutiens ont mobilisé sa figure en faveur du « oui ».
« L’opinion à Bamako est favorable au président. Etant donné que Bamako domine le discours public, il y a de fortes chances que ce référendum soit interprété comme un soutien à Assimi et à la transition, qu’on ne peut pas dissocier », dit Brema Ely Dicko.
« Par son silence politique, verbal, (il) a fini par se présenter comme une sorte d’icône, et jouit d’une grande popularité. Ceux qui sont autour de lui s’en sont rendu compte, et veulent utiliser son image pour améliorer les chances du oui », souligne le Docteur Abdoul Sogodogo, chercheur en sciences politiques.
Une opposition malmenée
Les observateurs jugent la victoire du « oui » acquise, mais un score plus serré que prévu nuirait à l’image des autorités.
La campagne a connu des accrocs. Un grand meeting en faveur du « oui », organisé le 8 juin à Bamako, a été raillé pour ses tribunes vides. Sur les réseaux sociaux, la nébuleuse des activistes pro-junte a étalé ses divisions en se rejetant la faute.
En face, les opposants à la réforme, influentes autorités religieuses, groupes armés du nord, une partie de la classe politique, forment un bloc hétéroclite mais qui a réussi à se faire entendre.
« Le Mali a besoin d’un système constitué autour des institutions et non un système constitué autour d’un homme », estime Makan Mary, membre du parti Yelema. L’article de la nouvelle Constitution qui assure l’amnistie aux auteurs de coups d’État passés (donc aux actuels dirigeants) est particulièrement controversé.
« Depuis l’avènement de la démocratie, il y a eu des dérives autoritaires. Mais au lieu de redresser ces dérives, ce projet les codifie et les aggrave », dénonce Sidi Touré, porte-parole du Parti pour la renaissance nationale (Parena). La capacité de mobilisation de l’opposition reste à démontrer.
Opposants, critiques et journalistes ont été en butte aux arrestations ou aux pressions depuis 2020, s’alarment les défenseurs des droits, et rares ceux sont ceux qui osent critiquer ouvertement le pouvoir. Mais le référendum a ouvert un espace au débat.
« Ce projet de Constitution a rendu un service au pays. Les forces qui étaient demeurées timorées et silencieuses s’expriment« , assure Sidi Touré.
« Soutiens de la transition ou pas, une partie des Maliens veut un renouveau. Ils ont le sentiment que la classe politique ne s’est pas renouvelée depuis 30 ans, il y a un sentiment de ras-le-bol », dit le sociologue Brema Ely Dicko.
AFP
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