« Les violations du droit à la liberté d’expression sont désormais permanentes, et s’ajoutent à celles du droit de réunion pacifique entre autres. Les autorités guinéennes ont choisi de tourner le dos aux droits les plus élémentaires garantis par le droit international, que la charte de la transition signée le 27 septembre 2021 par le chef de l’État prétendait pourtant défendre », a déclaré Samira Daoud , Directrice régionale du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
« Ces pratiques sont d’autant plus choquantes qu’elles ignorent un jugement de la Cour de justice de la Cédéao du 31 octobre 2023 rendu public ces derniers jours. La Cour estime que la Guinée a violé le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information en restreignant l’accès à internet et/ou aux réseaux sociaux en 2020, quand Alpha Condé était chef de l’État. »
Depuis le début d’année, l’accès à internet et/ou aux réseaux sociaux a été restreint à plusieurs reprises, des sites d’information en ligne ont été inaccessibles, des radios ont été rendues inaudibles et retirées de l’offre de certaines plateformes de diffusion.
A la date du 20 décembre, la restriction d’accès aux réseaux sociaux constatée depuis le 24 novembre était toujours effective, en dépit d’appels de la société civile à mettre fin à cette restriction dans le contexte de la grave explosion survenue dans un dépôt d’hydrocarbures dans la nuit du 17 au 18 décembre ayant fait de nombreux morts et blessés.
Président de l’Association des blogueurs de Guinée (Ablogui) co-dépositaire de la plainte auprès de la Cour de justice de la Cédéao, Alfa Diallo a déclaré à Amnesty International : « Nous constatons que les autorités sont en train d’instaurer une censure durable et permanente d’internet et des médias. Cette situation nous inquiète d’autant plus que la décision de la Cour rappelant à l’État guinéen l’illégalité de couper internet ou de bloquer les réseaux sociaux semble ne pas avoir été pris en compte. »
La Haute Autorité de la Communication (HAC) a écrit au directeur général de Canal + Guinée les 6 et 9 décembre pour lui demander en des termes vagues de stopper la diffusion des médias guinéens Djoma FM et TV, Espace FM et TV, Évasion FM et TV, sur son bouquet pour des « impératifs de sécurité nationale ». Le 12 décembre, un autre distributeur, StarTimes, a annoncé le retrait de Djoma TV, Espace TV et Évasion TV pour les mêmes motifs.
Dans une publication sur le réseau social X le 9 décembre, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, également porte-parole du gouvernement, a annoncé que « les mesures prises (…) représentent une réponse immédiate face à des pratiques telles que l’apologie de la haine communautaire, l’accentuation des tensions sociales et politiques, et la propagation de discours divisifs », sans préciser les dits propos. Les médias incriminés par les autorités sont connus pour diffuser des programmes parfois critiques sur l’exercice du pouvoir par les autorités actuelles.
Le signal de FIM FM, une autre radio parmi les plus écoutées, est la cible de brouillages depuis plusieurs mois. Le directeur général de la radio a indiqué à Amnesty International qu’au 4 décembre, cette situation perdurait depuis huit jours. « En lieu et place de nos contenus, c’est du vent et parfois de la musique en hommage à l’armée guinéenne qui sont diffusés sur nos antennes », a-t-il déclaré à l’organisation. Il ajoute qu’une dizaine d’autres opérations de brouillages sont intervenues depuis le 19 mai 2023. Aucune suite n’a été donnée aux interpellations écrites et verbales adressées par la direction de la radio à l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT) et à la HAC, selon le directeur général.
Ces mesures récentes s’inscrivent dans une suite d’atteintes à la liberté d’expression depuis plusieurs mois, dont les autorités ont nié la responsabilité sans pour autant prendre d’initiatives pour y remédier.
En mai puis en novembre, l’Association des blogueurs de Guinée (Ablogui) a dénoncé des restrictions d’accès à certains réseaux sociaux et sites d’informations guinéens. Les organisations spécialisées Netblocks et Ooni avaient confirmé ces blocages. En mai, les blocages avaient coïncidé avec un appel à manifester des Forces vives de Guinée (coalition de partis politiques et d’organisations de la société civile) pour la journée du 17 mai dans le but de dénoncer la conduite de la transition par le CNRD. Le 18 mai, le ministre Ousmane Gaoual Diallo avait attribué ces problèmes au dysfonctionnement d’un « câble sous-marin ». Cette justification a été contredite par différents observateurs et experts et par la Fédération syndicale autonome des télécommunications (Fesatel), qui avait constaté qu’ « aucun opérateur n’a fait une communication d’un éventuel souci technique dans son réseau », selon une lettre adressée au ministre le 23 mai.
Le 22 mai, les organisations professionnelles de presse avaient décidé de plusieurs actions dont une « journée sans presse », en réaction au « démantèlement par effraction des émetteurs du Groupe de presse AfricVision, au brouillage des ondes des radios FIM FM et Djoma FM, [à] la restriction des sites d’informations guinéens et des réseaux sociaux, et en réaction aux menaces proférées contre la presse par le ministre porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo ».
Le site d’information Guineematin a été inaccessible du 15 août au 4 novembre 2023, sans aucune explication des autorités. Un rassemblement pacifique organisé le 16 octobre à Conakry pour demander la levée des restrictions d’accès à ce site a été violemment réprimé par les forces de sécurité. Treize journalistes ont été arrêtés arbitrairement au cours de cette manifestation et trois journalistes ont été blessés par les forces de l’ordre.
« La volonté des autorités de persister dans le contrôle de l’information et de limiter l’expression des opinions critiques est un signal alarmant, alors que la Guinée est engagée dans un processus qui doit conduire en 2024 à plusieurs scrutins et à la fin du processus de transition, selon le chronogramme décidé en accord avec la Cédéao », a déclaré Samira Daoud, Directrice régionale du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Amnesty International
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